Sylvie Orsini, romans

Derrière toi, le son d’une voix…

Les Geais Editions
Nepherupito
Nepherupito

Imprimé en janvier 2015

Le synopsis

À la fois si loin et si proches, ils évoluent, chacun dans leur propre univers : l’un poursuivant un rêve de découverte qui a amené tant d’autres avant lui dans les Territoires du Nord-Ouest canadien ; l’autre, pour concilier la passion et la raison s’éloignera de sa famille sous prétexte de poursuivre ses études à Ottawa. L’histoire de ces deux êtres va se construire pas à pas autour d’une tresse invisible aux brins multiples qui tantôt se croisent et tantôt se chevauchent. Mais peut-on vraiment effacer un amour de jeunesse entre ciel, terre et mer, alors qu’un feu puissant qui sommeille en eux les dévore ?
Où es-tu ? Que fais-tu ?
Comme la mer se peuple de moutons imaginaires, l’esprit fait miroiter leurs rêves… Mais…, entre elle et lui, il y a le son réel d’une voix…, que l’on n’oublie pas.

Sylvie Orsini

Sylvie Orsini

A quarante-cinq ans, “Meilleur Ouvrier de France” dans l’Art de la faïence, elle troque les pinceaux pour la plume. Italienne d’origine, elle réside à Folelli, en Corse, depuis vingt-cinq ans, à l’orée de la Castagniccia. Elle y partage ses passions avec son mari et ses deux enfants.

Notes de l’auteure

En cette matinée de vent et de pluie torrentielle, j’allume mon ordinateur et je relis le début du chapitre 40 que je viens de commencer ; je bute encore sur certains points : Erhan est à Londres, au siège de la BBC ; il doit répondre à une interview au sujet de la récente découverte de l’un des navires de l’amiral Sir John Franklin. Je me dis qu’il lui faudrait d’autres partenaires sur le plateau télé. Pourquoi pas un représentant du « Parcs Canada » et un membre du Nepherupitogouvernement du Nunavut ? Mais de quels titres vais-je les attribuer ? Je n’en sais rien.
Cela fait quelques mois — depuis la fin de la première partie de mon roman qui s’achève avec la découverte du HMS Erebus —, que je n’ai plus navigué sur les sites Internet traitant de l’Expédition de Sir John Franklin.
Alors, pour la centième fois, je clique sur : Expédition Franklin.
Je crois que ce qui vient de se produire à ce moment-là est un des événements majeurs de ma vie de romancière. Je lis : Découverte du HMS Erebus de l’expédition Franklin !
Sur le coup, je fronce les sourcils, car je crois être encore dans ma fiction, puis, je réalise avec consternation, et croyez-moi, le choc est de taille : non, c’est la réalité !! Un des navires de Franklin a été retrouvé pour de bon, et pas n’importe lequel : celui que j’ai choisi de découvrir dans mon roman : le HMS Erebus. Je me hâte de chercher à quelle date. L’article est apparemment sur Internet depuis le 11 septembre 2014 : il relate que l’épave a été retrouvée le 7 septembre dans le détroit de Victoria, au large de l’île du Roi-Guillaume (King William), non loin du village Inuit de Cambridge Bay dans le territoire du Nunavut.
J’avoue que ma toute première réaction, la surprise passée, c’est : « Mince ! Que vais-je faire de mon histoire, maintenant ? Ça y est, tout est foutu ! Ils recherchent ces navires depuis cent soixante ans et il fallait qu’ils en retrouvent un maintenant.» C’est, complètement sidérée et déçue que je vais voir mon mari dans son atelier pour lui annoncer la nouvelle avec la mine d’un matin gris, comme si je venais d’apprendre le décès d’un être cher. Lui, par contre, n’a pas la même réaction que moi. Au contraire, il considère que tout cela est absolument incroyable, que ma fiction est prémonitoire, et que, grâce à cela, j’ai encore une autre histoire à raconter. C’est ainsi que, portée par ses encouragements, dans ce tourbillon d’émotions contradictoires, ce 11 novembre, je rédige un volet qui s’inscrira dans ma note d’auteur, et ce, avant même la fin de la troisième partie.
Mes craintes passées, j’en profite pour féliciter l’équipe d’archéologues de l’organisme « National Parcs Canada » qui ont mené six campagnes de recherche majeures pour retrouver les deux navires disparus de Sir John Franklin et qui ont, enfin, vu leurs efforts récompensés. Comme je pense l’avoir fait ressortir dans mon roman, c’est une immense joie que de pouvoir enfin faire corps avec une partie de l’histoire.

Mais, comment ai-je eu l’idée de m’intéresser au malheureux récit de Sir John Franklin ?
Lorsque j’ai commencé à imaginer la suite de ce troisième opus où deux histoires allaient se chevaucher, je voulais qu’Erhan puisse aboutir à son rêve : celui de devenir archéologue, pendant que Déborah de son côté poursuivait ses études au Canada. Mais il n’était pas question de créer un nouvel Indiana Jones à la recherche d’une cité perdue. C’est alors, qu’en naviguant sur Internet j’ai fait connaissance avec l’archéologie subaquatique, ce qui m’a aussitôt intéressée, d’autant plus que d’autres liens m’ont également amené à découvrir « Parcs Canada » et leur engouement pour la recherche des épaves de Franklin. Même si le challenge me paraissait plutôt difficile, la fameuse étincelle de l’écri-vain qui lui donne l’impression de pouvoir enfin bâtir son histoire a jailli à nouveau des méandres de mon cerveau : « Mon héros va découvrir l’une des deux épaves, me suis-je dit. Mais comment ? Je n’en ai aucune idée, pourtant c’est comme ça que cela doit se passer. »

Bien m’en a pris, et je reconnais humblement que si mon mari, qui ayant navigué, possède certaines connaissances dans le milieu marin n’avait pas été là pour m’aider, dans les moments les plus cruciaux de mon récit, je ne sais pas comment j’aurais pu terminer la première partie de ce livre.

Pour conclure, je dois dire que j’ai pris encore un énorme plaisir à écrire ce dernier volet de ma trilogie.
Je me permets de citer une pensée, que je trouve sublime, extraite du roman « Le café de la jeunesse perdu » de ce grand écrivain, Patrick Modiano :

« À mesure que vous la racontez, cette vie imaginaire, de grandes bouffées d’air frais traversent un lieu clos où vous étouffiez depuis longtemps. Une fenêtre s’ouvre brusquement, les persiennes claquent au vent du large. Vous avez, de nouveau, l’avenir devant vous. »
C’est ce que j’ai ressenti à travers mon héroïne, Déborah…, une nouvelle jeunesse.

Derrière toi, le son d'une voix
Derrière toi, le son d'une voix

Extraits de Derrière toi, le son d’une voix…

Covent Garden tenait son nom du jardin d’un ancien couvent : l’Abbaye de Westminster, depuis longtemps disparue ; il s’agissait d’un véritable chef-d’œuvre architectural devenu, au siècle dernier, un marché couvert ; ces superbes halles aux structures en fonte avaient été conservées et abritaient maintenant toutes sortes de boutiques, restaurants et cafés. Gens chics du quartier et touristes branchés affluaient vers ses bars fabuleux, ses élégants petits restaurants et ses magasins tendance. Ils étaient friands des événements culturels qui s’y produisaient et les initiés étaient incités à y revenir encore et encore.
De Floral Street, véritable défilé de mode en passant par la Piazza et ses plaisirs de plein air, par ses allées dissimulées et ses nombreux trésors, on arrivait à Covent Garden qui avait le pouvoir de surprendre aussi bien les visiteurs les plus assidus que les plus blasés.
Le plan de Covent Garden sous les yeux, Déborah repéra Floral Street.
La station de métro n’était qu’à quelques pas du Market Building, au bout de James Street. Tout en satisfaisant à sa curiosité, Déborah atterrit sur une première rue transversale, Floral Street. Elle remarqua, un peu plus bas, une autre attraction architecturale, d’une rare beauté : il s’agissait d’une passerelle hélicoïdale qui reliait deux bâtiments. Le profil de l’un des édifices se dessina sur sa droite et elle devina le caractère peu ordinaire de cet ouvrage : sa silhouette élégante, d’un blanc éclatant, ne fut pas sans rappeler à la jeune fille, la grâce du cygne ; il se dressait bien plus haut que les autres édifices et s’imposait en offrant un contraste frappant avec les façades d’un marron-ocre plus terne.
Elle consulta son guide et apprit que ce bâtiment n’était autre que le très célèbre Opéra de Covent garden et que la fameuse passerelle servait à relier le Ballet royal à l’édifice principal de l’Opéra.
Déborah s’octroya un bref instant de rêverie ; elle songea au défilé perpétuel des élèves du Ballet traversant d’un pas léger ce pont insolite, translucide. Elle leva les yeux et fut éblouie par les jeux de lumière provoqués par les rares rayons du soleil qui faisaient danser les vitres facettées ; alors, elle imagina les ondulations gracieuses et fluides de ces ballerines, leur émoi, leur trac et leurs soupirs… C’était exactement ce qu’elle ressentait en cet instant précis.

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― Puisque tu sais si bien jouer les devins papa, eh bien oui ! Je suis venue retrouver quelqu’un, qui de toute évidence ne veut pas de moi. Maintenant que les choses sont claires, j’ai décidé de tirer un trait et de passer à autre chose…, puis, changeant de ton, elle prit la main de son père dans la sienne et poursuivit :
― Papa… je sais que tu m’aimes et que tu te fais du souci pour moi. Je suis touchée que tu sois venu jusque-là pour me soutenir, mais je t’assure, je vais bien, ce n’est qu’un petit nuage que le vent va chasser. Regarde-moi, je viens d’avoir dix-huit ans, je suis jeune et belle, comme on n’arrête pas de me le dire, et j’ai la tête pleine de projets. Il n’y a vraiment aucune raison à ce que je gâche ma vie en rêvant d’un amour impossible.
― Je suis fier de toi, ma fille. Tu es une battante. Même si j’ai beaucoup de mal à croire qu’un homme soit aussi fou pour ne pas vouloir de toi, qui que ce soit, c’est un imbécile de t’avoir repoussée.
― Ce n’est pas vraiment ainsi que les choses se sont passées, mais peu importe. Puis, en inspirant profondément, Déborah poursuivit :
― Papa…, je pense que c’est le moment idéal pour que je te fasse part d’un souhait qui me tient particulièrement à cœur et j’aimerais que tu sois d’accord.
― Vas-y, je t’écoute, Déborah.
― Si tu n’y vois pas d’inconvénient, je voudrais poursuivre mes études au Canada. Tu te souviens, nous avions déjà envisagé cette possibilité il y a quelques mois…
― Hum…, Richard réfléchissait.
― Où exactement ?
― À Ottawa, où je suis née. Puis il y a tante Édith. Je serai tout près d’elle.
― Tu penses bien que c’est uniquement parce qu’il y a ta tante là-bas que je peux envisager la perspective de te laisser partir, Déborah. Je sais que tu rêves depuis toujours d’endosser la blouse blanche et d’embrasser toi aussi une carrière médicale, et je ferai tout pour t’encourager à réussir. Malgré tout, je me demande si tu as bien considéré le fait que, selon l’orientation que tu vas prendre, il y aura un engagement de cinq à douze ans. Es-tu prête à aller jusqu’au bout, dans un autre pays, si loin de chez toi ?
― Oui, j’y ai longuement réfléchi.
Comment lui avouer qu’en prenant une décision aussi drastique elle espérait mettre de la distance entre elle et son propre chagrin. Peut-être que les quelque six mille kilomètres de séparation l’aideraient à se séparer de ses souvenirs et à se concentrer davantage sur cet objectif. Un leitmotiv qui soudoyait son esprit depuis quelques jours : nouveau Pays, nouvelle vie, nouveaux amis et, une fois de plus, pour ne pas changer ses habitudes, elle fuyait, mais c’était comme ça…
Richard, de son côté, en était déjà aux considérations d’ordre pratique.
― Tu intégrerais donc la faculté de médecine au pavillon Roger Guindon. Je vois que tu es de plus en plus à l’aise avec la langue de Shakespeare, mais il te faudra travailler d’arrache-pied si tu veux suivre, car il ne faut pas oublier que même s’il s’agit d’un pays francophone, la plupart des cours sont en anglais.
― C’est un défi que je me sens prête à relever, papa. Ne t’inquiète pas pour mon anglais, il va vite se mettre au pas. Je me dis que, si on a le privilège de choisir entre des études systèmes français et canadien, il ne faut pas rater l’occasion. Les programmes académiques sont réputés pour leur excellence. Puis ce côté multiculturel me fascine. Et enfin, c’est une opportunité pour moi de ne pas faire comme tout le monde.
― Ce sont de bons arguments, à condition de mettre tout ton cœur à l’ouvrage. Je sais que tu as de bonnes habitudes d’études et je suis très fier de ta mention très bien au bac S. Mais, crois-en mon expérience, pour réussir le concours de première année de médecine il va falloir redoubler d’efforts : beaucoup de travail, de bourrage de crâne et, parfois, des nuits sans sommeil. Il faut s’investir à fond afin d’assimiler un maximum : apprendre par cœur pour être le meilleur, s’enfermer dans sa chambre, le nez dans les bouquins de physique-chimie, biologie cellulaire, biochimie, anatomie et j’en passe. Et là le stress sera à son paroxysme parce que tu n’auras que deux chances ; on ne peut redoubler qu’une seule fois. Alors, ma fille, si tu te sens prête à entrer dans les ordres, bienvenue au club.
Merci, papa, pour tes bons conseils, et je sais que je pourrai compter sur toi pour m’aider. Je suis sûre que tu devais être le meilleur à la fac. Il lui sourit.
N’hésite surtout pas à m’appeler, nous pourrons communiquer sur Skype et je t’aiderai. En attendant, il va falloir que je me débrouille pour qu’ils acceptent de te prendre. Nous sommes déjà au mois de juillet et les inscriptions ont déjà eu lieu.
Richard se frotta le menton :
― Bon ! J’en connais une qui ne va certainement pas faire des sauts au plafond en apprenant la nouvelle, mais il faudra bien qu’elle s’habitue…
― Tu veux parler de maman ?
― Bien évidemment !
― Si tu es d’accord, je voudrais passer quelques semaines avec elle en Corse. Ça lui fera plaisir et je pourrai ainsi la préparer.
― Je n’y vois pas d’inconvénient. Mais il faudra que tu sois de retour vers…, disons…, le 18 août. Nous partirons au Canada une quinzaine de jours avant le début des cours ».

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Ils avaient sous les yeux une poutre de bois épaisse de couleur brunâtre en assez bon état encore ; elle avait une forme courbe qui se terminait par une partie droite.
Affairés de part et d’autre, les deux archéologues, les yeux brûlants d’impatience, caressaient la chose comme s’il s’agissait d’un animal endormi qu’il fallait réveiller tout doucement de peur de le brusquer. Au contact du vieux bois gorgé d’eau et de sel, lissé et poli par la mer, un lointain souvenir traversa l’esprit d’Erhan : qu’ils étaient merveilleux les premiers week-ends ensoleillés sur la plage magnifique de sable blanc de Brighton. Il revoyait Jade, sa soeur, enfant, s’écriant de sa voix cristalline : Duddy, Duddy ! Il avait couru vers elle craignant qu’elle ne se soit blessée. Elle avait les cheveux ébouriffés, les grains de sable fin encore collés sur ses joues et les yeux brillants. Elle lui indiquait de sa petite main un morceau de bois flotté. Il n’avait pas saisi tout de suite ce qu’elle voulait, mais Jade répétait inlassablement : Duddy ! Duddy ! Le nom de son petit canard en lui désignant du doigt l’objet.
L’observant plus attentivement, il venait enfin de remarquer que ce morceau de branche de bois façonnée par la nature revêtait la forme étrange d’un petit canard avec un long bec aplati et une aile légèrement recourbée. C’est probablement cette ressemblance avec son Duddy que Jade avait vu dans ce morceau de bois flotté. Il lui avait souri et lui avait dit que c’était bien joli ; il l’avait prise dans ses bras et avait fait quelques pas dans la direction opposée ; c’est alors que Jade s’était mise à couiner. Elle voulait à tout prix qu’il ramène sa trouvaille. Il avait été obligé d’obtempérer, car sa petite soeur, trop heureuse de sa découverte, était bien décidée à adopter son nouveau Duddy qui allait finir par trouver désormais sa place à la maison, bien en évidence au-dessus de l’immense cheminée du salon, non loin des portraits de la famille Foster.
À cet instant précis Erhan éprouvait le même émerveillement que sa sœur à cinq ans. Il parcourut la surface de leur découverte, les yeux pétillants, à la recherche de détails révélateurs.
L’une des extrémités comportait une brisure franche et l’autre, une découpe angulaire de forme carrée encore assez nette bien qu’en partie émoussée —, sans doute une clef qui la liait à une autre pièce. Cette dernière s’apparentait vraisemblablement à un morceau d’étrave renforcé, car on pouvait distinguer en trois endroits l’emplacement de trous bouchés par les concrétions et le sable, dont l’un, laissait dépasser un morceau de tige métallique en bronze, probablement le vestige d’un boulon ou d’un rivet, bien conservé par ce long séjour au cœur de ces eaux glaciales.
― Je crois ne pas me tromper en affirmant que c’est un morceau de la proue d’un vieux navire. Serait-il possible que la mer se soit enfin décidée à nous rendre ce qui appartient à notre histoire ? Qu’en dis-tu Erhan ?
― Si nous tenons compte du but de notre expédition et de notre découverte, je pense en effet que nous avons de la chance et que la mer nous a fait une faveur. Qu’allons-nous faire, maintenant ?
― Ben, voyons, qu’est-ce que tu crois ? Puisque la mer nous a gâtés, nous allons le ramener avec nous. Il est hors de question d’abandonner notre précieuse découverte.
― J’espérais te l’entendre dire, William.
― Je suis persuadé que le reste du navire est couché par le fond, non loin. C’est bien dommage que ces foutues conditions météo nous empêchent de poursuivre les recherches. Pour le moment, amarrons solidement notre bout d’étrave au centre du Zodiac et tâchons de rejoindre rapidement le bateau si nous ne voulons pas essuyer un blâme du commandant. Le vent forcit, la mer moutonne de plus en plus, et l’on doit certainement nous fustiger tout en nous observant à la jumelle.

Alourdie par ce poids supplémentaire et freinée par les vagues qui venaient se briser sous l’étrave du zodiac, la coque se soulevait et retombait lourdement dans un claquement sec. L’eau ruisselait de toutes parts, sur les flancs du zodiac, sur leur visage, sur leur combinaison, mais, bien que trempés, ils souriaient, estimant que c’était pour la bonne cause.
Tandis qu’Harry se concentrait sur le cap, William et Erhan s’accrochaient aux cordes qui liaient le vestige. Pendant qu’ils naviguaient contre le vent, ils n’avaient qu’une hâte, se retrouver à bord du Martin Bergmann et mettre leur précieuse découverte en sécurité. Bientôt la coque de ce dernier offrirait un rempart contre le vent.
À quelques mètres du bateau, William se leva, agitant les bras. Du haut de la passerelle, on lançait des cordes pour remonter la pièce d’étrave, puis ce fut à leur tour et au tour du zodiac. C’est avec beaucoup d’enthousiasme qu’ils furent accueillis par les autres membres de l’équipage bien contents d’avoir, enfin, quelque chose d’autre à se mettre sous la dent, mis à part la mer ou des imageries satellite visionnées à longueur de journée sur un écran d’ordinateur. Se serrant les uns contre les autres dans l’espace restreint du pont, ils observaient, curieux « la bête » de plus près, et, chacun s’essayait à formuler une théorie sur l’apparition fortuite de cette partie d’étrave, là, à l’île de la Royal Geographical Society Kitikmeot, après plus de cent soixante années de recherches. Ces suppositions paraissaient pourtant plus évidentes que celles qui amèneraient toute personne réfléchie à se demander par quelle force mystérieuse et à quel moment dans le cours du temps les navires avaient disparu. En effet, il était plus facile d’essayer de comprendre comment ce morceau d’étrave était arrivé là, que d’imaginer dans quelles circonstances la mer avait pu engloutir les navires.
Mettant fin à toute spéculation, le commandant apostropha les membres de l’équipage qui étaient réunis sur le pont:
― Il va falloir nous mettre à l’abri, l’avis de tempête se confirme et croyez-moi, on va danser ; nous côtoyons déjà force 9. Il nous faut remonter les sonars au plus vite et chercher une baie sous le vent au nord de l’île.
― Pensez-vous que nous soyons en danger, monsieur Kenneth ? lui demanda Ajita. Ses grands yeux noirs révélaient une certaine inquiétude. Elle serrait sa capuche très fortement pour empêcher cette dernière de s’envoler.
― Ne vous inquiétez pas, mademoiselle Shing. Le spectacle est impressionnant certes, mais le Martin Bergmann en a vu d’autres.

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